Il est essentiel de savoir que les conjoints de fait ne sont pas reconnus par le Code civil du Québec. En effet, ce dernier ne régit que les conjoints mariés ou ceux unis civilement. La création du nouveau régime d’union parentale vise ainsi à encadrer et à protéger les conjoints de fait qui sont parents d’un enfant commun en leur octroyant des droits, devoirs et obligations. C’est donc un début de reconnaissance des conjoints de fait par le Code civil. En quoi consiste ce régime d’union parentale ? Faisons le tour ensemble !
Résidence principale
Tout d’abord, la résidence principale est celle qui est choisie de concert par les conjoints en union parentale, ou à défaut, elle est présumée être la résidence où les membres de la famille habitent lorsqu’ils exercent leurs principales activités[1].
Le Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») prévoit certaines mesures de protection de la résidence familiale afin de préserver un environnement familial convenable et, d’éviter qu’un conjoint ne prenne des décisions unilatérales préjudiciant l’autre conjoint. À titre d’exemple, un époux ne peut pas, sans le consentement de son conjoint, aliéner, hypothéquer ou transporter à l’extérieur de la résidence familiale, les meubles qui servent au ménage[2]. Un époux qui est locataire ne peut pas non plus, sans le consentement écrit de l’autre, sous-louer, céder ou mettre fin au bail si le locateur a été avisé que le logement servait de résidence familiale[3]. Finalement, il est également prévu qu’un conjoint qui est propriétaire d’un immeuble dont une partie sert à l’usage de la famille ne puisse, sans l’autorisation de l’autre, le vendre, le donner, le louer ou l’échanger[4]. Ces protections s’appliqueront dès le 30 juin 2025 aux conjoints en union parentale tel que prévu par le futur article 521.24 du Code civil du Québec et subsisteront durant les 120 jours qui suivent la cessation de vie commune. Ces nouvelles dispositions permettront donc d’éviter qu’un conjoint se retrouve sans logement du jour au lendemain, le tout dans l’intérêt premier de l’enfant.
Constitution d’un patrimoine d’union parentale
L’union parentale emporte la création d’un patrimoine d’union parentale constitué de certains biens appartenant aux conjoints de fait sans égard au droit de propriété[5]. En effet, la résidence principale ou les droits qui en confèrent l’usage, les meubles qui la garnissent ou qui l’ornent et les véhicules automobiles qui servent aux déplacements de la famille font partie de ce nouveau patrimoine, à l’exception des biens échus par succession ou par donation[6].
Il est toutefois pertinent d’être informé que les conjoints peuvent, sous certaines conditions, modifier la composition de ce patrimoine en cours d’union[7], ou encore, se retirer entièrement d’un commun accord de l’application de ce patrimoine d’union parentale par acte notarié[8].
Les effets de la constitution de ce patrimoine se ressentent à la fin de l’union parentale (séparation ou décès) puisqu’un partage sera effectué. En effet, l’intention générale est que la valeur accumulée du patrimoine d’union parentale, de laquelle sont soustraites les dettes contractées pour l’acquisition, l’amélioration, l’entretien ou la conservation des biens, soit divisée en parts égales entre les conjoints[9]. Cependant, certaines réserves se doivent d’être émises puisque certaines exceptions peuvent être applicables; l’analyse et le calcul doivent se faire selon la situation particulière de chacun. Il sera ainsi primordial de consulter votre notaire qui pourra vous assister dans l’établissement de la valeur partageable résultant de votre union parentale.
Prestation compensatoire
Initialement, la prestation compensatoire est réservée aux couples mariés ou unis civilement, sauf si elle est prévue dans une convention de vie commune entre conjoints de fait. Toutefois, le projet de loi no. 56 élargit son champ d’application et instaure cette prestation aux conjoints en union parentale. En effet, à la fin de l’union parentale, un conjoint peut demander au tribunal qu’il ordonne à l’autre conjoint de lui verser une prestation qui vise à compenser l’apport, en temps ou en biens, qu’il a effectué et qui a permis à l’enrichissement du patrimoine de cet autre conjoint[10]. Afin de trouver application, certaines conditions doivent cependant être respectées. La Cour suprême du Canada établit six critères afin de permettre l’octroi d’une prestation compensation : 1) la preuve de l’apport au patrimoine du conjoint, 2) l’enrichissement du patrimoine du conjoint, 3) le lien de causalité entre l’apport et l’enrichissement, 4) la proportion dans laquelle l’apport a permis l’enrichissement, 5) l’appauvrissement concomitant et, 6) l’absence de justification à l’enrichissement[11]. Bien que la prestation compensatoire soit applicable aux conjoints d’union parentale, encore faudra-t-il qu’un des conjoints soit capable de démontrer les six critères.
Dévolution légale (décès en l’absence de testament)
Tel que mentionné précédemment, le Code civil du Québec ne reconnaît pas le conjoint de fait. De ce fait, en cas de décès sans dispositions testamentaires prévues, il y a application des règles de dévolution légale du Code civil du Québec selon lesquelles la succession est dévolue au conjoint survivant lié par mariage ou union civile et aux parents du défunt[12]. Le projet de loi no 56 prévoit à son sixième article une modification de l’article 653 C.c.Q. afin d’y ajouter le conjoint lié au défunt par union parentale.
À titre d’exemple, reprenons l’histoire de Manon et Jules (que nous suivons dans la partie I – Formation du régime d’union parentale), maintenant conjoints de fait depuis une dizaine d’années, propriétaires d’un condo et parents de deux enfants en bas âge. Ces derniers n’ont pas rédigé de testament, puisqu’ils considèrent qu’il ne s’agit pas d’une importance capitale pour le moment. Cependant, survient un accident et Jules décède sur le coup, le 11 décembre 2024. Selon les règles actuellement en vigueur, n’étant pas mariés, Manon n’est pas héritière malgré qu’elle ait été la personne la plus importante et la conjointe de Jules depuis plus d’une décennie.
À l’inverse, si nous suivons un autre exemple, celui de Maria et Quentin, conjoints de fait depuis quelques années et, futurs parents d’un enfant dont la naissance est prévue en juillet 2025, soit après l’entrée en vigueur du projet de loi 56, les protections accordées par l’union parentale trouveront application. De ce fait, en cas de décès de Jules, si ce dernier n’a pas rédigé de testament, Maria héritera tout de même du tiers de la succession de son conjoint.
Conclusion
Le nouveau régime d’union parentale, dont l’entrée en vigueur est prévue le 30 juin 2025, met en lumière, pour une toute première fois, les conjoints de fait parents d’un même enfant en leur accordant des droits, devoirs et obligations. En effet, la protection des familles dont les parents ne sont ni mariés ni unis civilement est grandissante puisqu’on remarque une constante diminution du nombre de mariages célébré au Québec depuis 1971 selon l’institut de la statistique du Québec[13]. Voilà, une belle avancée !
[1] Futur art. 521.23 C.c.Q.
[2] Art. 401 C.c.Q.
[3] Art. 403 al. 1 C.c.Q.
[4] Art. 404 al. 1 et 405 al. 1 C.c.Q.
[5] Futur art. 521.29 C.c.Q.
[6] Futur art. 521.30 al. 1 et 2 C.c.Q.
[7] Futur art. 521.31 C.c.Q.
[8] Futur art. 521.33 C.c.Q.
[9] Futur art. 521.34 C.c.Q.
[10] Futur art. 521.43 al. 1 C.c.Q.
[11] M. (M.E.) c. L. (P.), 1992, 1 R.C.S. 183, p. 204.
[12] Art. 653 C.c.Q.
[13] Institut de la statistique du Québec, « Le nombre de mariages au Québec en 2023 reste stable », Gouvernement du Québec, https://statistique.quebec.ca/fr/communique/nombre-mariages-2023